Photographie, image, et le réel

Publié le 19 Octobre 2018

Il y a les guerres, il y a la Corse, il y a la photographie et tout cela s’organise aux accents de l’office funèbre que le parrain de la jeune photographe célèbre à la mort de celle-ci.

Antonia est morte bêtement, si jeune encore, dans un accident de voiture, elle qui a traversé plusieurs guerres en tant que reporter, au plus près des conflits, immergée dans ces luttes sanglantes, stériles, incompréhensibles souvent tant leur fureur accable les populations.

Antonia est devenue photographe grâce au cadeau que son parrain lui a offert dans sa prime jeunesse. Il est ainsi devenu celui qui la comprenait le mieux, et tandis qu’ils évoluent chacun dans des sphères radicalement différentes, il demeurera toujours son point de repère, surtout au plus fort de leurs oppositions, quand les tragédies des pays, qu’elle s’obstine à découvrir par le prisme des guerres fratricides, occupent toutes ses pensées, sous-tendent sa réflexion politique, lui permettent de se construire.

Bien sûr, il y a aussi la Corse, ses luttes sanglantes, meurtrières, intestines où des factions rivales s’opposent tragiquement, où les amis de jeunesse se retrouvent ennemis, où son amoureux lui-même se laisse corrompre par l’escalade de la violence. Alors un jour, parce qu’elle ne sait rien faire d’autre que photographier, Antonia choisit de revenir s’installer en Corse et de s’immerger dans les photos de famille, mariage et autres événements familiaux pour oublier ce que la mort instille de fascination.

Toute la vie d’Antonia va défiler pour le lecteur tout au long d’un requiem, chanté en polyphonie, dont la liturgie est imposée par son parrain, devenu prêtre, qui doit célébrer les funérailles et les paroles des séquences de cette messe des morts s’imposent  pour magnifier cette mort tragique, en contrepoint de cette vie fauchée, reflet de toutes celles qu’Antonia restituaient dans ses photographies. L’image, la mort, l’ambiguïté du regard sur l’indicible, l’innommable, l’impact de ces photographies où l’esthétique éloigne du réel du fait du talent du photographe, toutes ces questions sont au centre de ce roman impressionnant, fascinant. L’écriture de Jérôme Ferrari est dense, vivante, profonde, d’une technicité hallucinante, et ses phrases belles, puissantes,  longues et rythmées sont comme le ressac de notre époque si déchirée.

Hélène Camus

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